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Rencontre avec Cyril Herry

A l'occasion de la parution de "La Fille de Diogène", un moment partagé avec celui de nos auteurs qui nous installe en forêt.

C'est un écrivain rare. Il publie peu, des textes toujours extrêmement finis qui, l'un après l'autre, nous installent en forêt, au contact d'une vie qui tient les hommes à distance. Après son magnifique Tempête Yonna, roman qui avait reçu le Prix Thriller en 2021, In8 vient de publier La Fille de Diogène dans la collection Polaroïd tenue par Marc Villard. Rencontre de l'auteur avec Josée Guellil, son éditrice.

Josée Guellil : Nous avons découvert ton travail avec Scalp, paru au Seuil en 2018. Le roman met en scène une femme et son fils qui installent leur campement au bord d'un étang, dans un bois, afin de retrouver le père de l'enfant qui s'y est établi pour vivre seul, en immersion dans cette nature, loin des hommes. Ce livre, à la fois plein de grâce et d'âpreté, nous avait envoûté. Puis tu nous as confié Tempête Yonna (2021), qui met en scène un hameau coupé du monde, là encore quelque part en France, par une grosse tempête, et qui piège dans un huis clos à ciel ouvert une quinzaine de personnes au profil varié. Ces habitants vont chercher des voies de survie à la faveur de coopération... Tout ne sera pas rose, et plusieurs violences perturberont la traversée. Viendront ta bande dessinée La Meute, puis la novella polaroid La fille de Diogène que nous avons publiée en octobre dernier : dans ces deux livres, des adolescents ou de jeunes adultes décident de quitter le village, la société humaine dans laquelle ils évoluent, pour trouver refuge dans la nature... On a le sentiment que livre après livre, tu creuses ce sujet : la tension entre la vie en société et la vie dans la nature...

Cyril Herry : Il est avant tout question de forêt dans mes histoires. Celle où l’on peut se cacher, évoluer de préférence sans sentier tracé, construire une cabane, séjourner, passer des heures devant un feu, s’égarer aussi. Quand je pénètre dans une forêt, je tourne le dos au monde que les hommes ont organisé et dans lequel je ne me sens pas très à l’aise. C’est mon imaginaire qui me guide, depuis longtemps. Un univers intérieur que j’ai façonné au fil du temps, entretenu, enrichi, exactement comme on le fait d’un jardin (secret en l’occurrence). Il me préserve de tout ce que la société génère en matière de conflits, de convoitise, de mépris et d’orgueil.

Mais la forêt n’est pas qu’une façon de m’éloigner des affaires des hommes. C’est un univers en soi, qui n’a par ailleurs nul besoin des hommes pour se développer et se réguler. Si je croyais en la réincarnation, je voudrais devenir un renard, ou bien un loup. Et voir le jour dans un espace sauvage immense où l’homme n’est pas encore parvenu à poser le pied. J’espère ne jamais estimer avoir fait le tour du sujet du lien de l’homme à la forêt.

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JG : Plusieurs intellectuels récusent aujourd'hui le terme de « nature », alléguant que ce terme introduit une dichotomie fallacieuse entre nature et culture, ou nature et civilisation... Est-ce ton cas ?

Cyril Herry :Cette dichotomie saute aux yeux, en tant que séparation. Chaque « progrès » que l’homme fait, chaque découverte, chaque invention l’éloigne encore un peu de la « nature » – entendons : la planète qui nous héberge. Qu’il s’agisse de la forêt, de la terre ou des sous-sols, cette planète, aux yeux de l’homme animé de convoitise, n’est là que pour être exploitée et satisfaire nos besoins croissants. Ce qui implique donc de la détruire. D’en éliminer des parties, parfois irrémédiablement. Bien sûr, des combats sont menés afin de préserver certains pans de cette « nature », mais même si l’on constate des victoires ici et là, elles me semblent dérisoires comparées à la vaste machine humaine destructrice qui est à l’œuvre.

JG : Sous ta plume, la « nature » est ambivalente... Elle est à la fois une forme de refuge pour les personnages qui font rupture de ban, quittent les villages et s'enfoncent dans les bois... Mais elle n'est pas amène : éprouvante - tu décris notamment le froid, la pluie - voire carrément dangereuse... Au point que l'héroïne de La Fille de Diogène s'invite régulièrement dans des maisons, quitte les bois pour s'abriter entre quatre murs, chaparder de quoi manger, utiliser l'eau chaude, comme si sa tentative de fuite dans la nature était vouée à l'échec...

Cyril Herry : Cette fille n’a reçu aucune initiation à la survie dans les bois. Elle a néanmoins grandi en Lozère, en contact avec la forêt et sous un climat rude. Sa décision de quitter la civilisation (ses semblables) tenait a priori de l’urgence. Il me semble que c’était « ça » ou mettre fin à ses jours. Son but n’était donc pas de parvenir à survivre dans la forêt, mais bien de se tenir à l’écart des hommes. En cela, il n’y a pas d’échec, ni mode d’emploi qu’elle n’aurait pas suivi, ni règles qu’elle aurait trahies. Il y a eu des choix qui étaient les siens à ce moment-là, et qui ont impliqué de revenir roder parfois du côté de chez les humains, pour les épier, pour s’introduire chez eux, pour leur voler des affaires. Pour leur pourrir la vie, aussi, un peu.

La citation de Caspar David Friedrich qui figure en ouverture du livre est une clé importante si l’on veut comprendre pourquoi cette fille (en tout cas mon personnage) est partie dans les bois : « Pour ne pas haïr les hommes, je m’abstiens de les fréquenter. »

JG : Tu vis dans le Parc Naturel Régional du Limousin depuis des années, et dans des lieux secrets tu construis des cabanes... Ces expériences du dehors nourrissent tes fictions, n'est-ce pas ? D'où vient ce rapport au dehors, à la forêt ? Ton enfance ? Une épiphanie ? Des lectures ? As-tu été initié ?

Cyril Herry : De l’enfance, indéniablement. Mais des lectures aussi, en effet. Et du cinéma. D’une nécessité (je l’ai compris plus tard) de m’évader d’un monde qui m’a déçu très tôt et où je m’ennuierais beaucoup si je n’avais pas l’imagination, l’écriture, les livres, le cinéma, la forêt, mon chien et une poignée d’amis précieux.

Ton usage à deux reprises du mot « dehors » dans ta question induit précisément la notion du « dedans ». La forêt extérieure serait en quelque sorte le reflet d’un univers intérieur. Tout comme je suis convaincu que le lieu qu’on habite est en mesure de raconter qui l’on est à quelqu’un qui ne nous connait pas, y compris en notre absence – surtout en notre absence. Y compris dans une société perfusée à l’Ikéa et à l’information incessante – en particulier dans cette société-là. C’est peut-être bien à cet exercice de lecture que le personnage de La fille de Diogène se livre lorsqu’elle s’introduit chez les gens, le temps d’y chaparder des vivres ou pour y séjourner quelque temps.

Je n’ai pas été initié à la construction de cabanes. Les premières que j’ai fabriquées étaient d’ailleurs très sommaires et précaires. C’était il n’y a pas si longtemps que ça, vers 2012-2013, en compagnie de trois amis, dans une forêt située en Corrèze, près d’un étang qui allait devenir celui de mon roman Scalp.

Par la suite, j’ai construit seul d’autres cabanes, plus durables et fidèles à celles qui animaient mes rêves depuis longtemps.

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JG : Tu es un auteur relativement rare, au grand regret de tes lecteurs... Comment écris-tu ? C'est à croire qu'un sujet t'occupe à 300%, et que tu ne peux te lancer dans autre chose qu'après avoir bouclé le texte... Ou travailles-tu plusieurs projets en parallèle ?

Cyril Herry : Je me disperse rapidement si je travaille sur plusieurs projets à la fois. J’ai besoin de me concentrer sur un seul, de m’endormir avec, de me réveiller avec, même si cela est parfois très risqué, car si jamais il échoue, je n’ai pas de plan B. J’ai plusieurs fois payé cher les frais de ce choix ces dernières années.

JG : Tu es aussi un homme d'images... Tu fais de la photo, tu as créé une BD avec les peintures d'Aude Samama (La Meute), un livre doté de photographies de Chrystèle Lerisse... Qu'est-ce que l'écriture apporte de plus, ou de différent, à l'image ? Ce n'est pas tout à fait un hasard si ton dernier texte est paru dans une collection nommée Polaroid...

Cyril Herry : Jusqu’à mon entrée aux arts décoratifs de Limoges, en 1988, je voulais être dessinateur de bande dessinée (et scénariste, puisque j’écrivais déjà). Ma découverte de la photo argentique a tout chamboulé. J’ai mis le dessin de côté. Dès lors, l’écriture et la photographie sont devenus mes alliés. J’ai aussi utilisé la vidéo et j’ai brièvement flirté avec le cinéma.

Quand j’écris un roman, je tourne un film dans ma tête. J’ai les cadrages, les lumières, les mouvements, ainsi que le temps. J’ai beaucoup d’idées qui me viennent à l’esprit et que je consigne dans un fichier. Il y en a qui se prêtent à l’écriture, d’autres à l’image. Parfois aux deux. Parfois ni à l’une ni à l’autre, et cela reste des idées.

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JG : On a le sentiment que chacun de tes livres est une « cabane » que tu construirais, comme une tentative de bâtir un habitat éphémère aménageant un rapport de coexistence entre l'homme et son environnement... L'équilibre est toujours précaire. Ces cabanes, ces livres, ne sont jamais confortables, ni définitives. Est-ce une juste manière de voir tes textes ?

Cyril Herry : Si l’on considère que mes romans entendent témoigner de l’époque à laquelle je vis, ils ne sont en effet ni confortables, ni définitifs. Ceci explique aussi pourquoi la plupart de mes fins sont ouvertes : tout en étant pessimiste, j’ignore comment le monde va tourner.

Ta comparaison de mes romans avec des cabanes me touche beaucoup. Elle rejoint ce que Henry David Thoreau a pu écrire dans son « Journal », ainsi que Gilles Tiberghien dans son ouvrage « Notes sur la nature ; la cabane et quelques autres choses ». En résumé, une cabane peut être perçue comme une projection architecturale de l’espace mental. Toujours ce lien étroit entre l’intérieur et l’extérieur.

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JG : Tu ne juges aucun de tes personnages... C'est ce qui fait le sel de la « pléiade » mise en scène dans Tempête Yonna par exemple. Pas de gentils et de méchants, des personnages toujours ambivalents, rattrapés pour le meilleur ou pour le pire par leurs fêlures, leurs névroses, leurs angoisses. Dans La Fille de Diogène, le narrateur reste distant de ce personnage mystérieux, et ne dévoile rien des raisons pour lesquelles cette jeune femme a soudain décidé de s'extraire de la communauté des hommes... Bien entendu, l'imagination du lecteur s'en donne à cœur joie. Pourquoi cette distance pudique à tes personnages ? Parce qu'il serait trop simple de réduire les motivations à un seul mouvement ? Par pudeur vis à vis de la véritable Clara qui a erré dans les bois des Cévennes pendant 14 ans, et qui t'a inspiré cette histoire ? Pour laisser plus de latitude au lecteur ?

Cyril Herry : Au moment de livrer le texte La fille de Diogène à Marc Villard, j’ignorais que la vraie fille s’appelait Clara et qu’elle venait tout juste de se faire « capturer » par la gendarmerie dans une résidence placée sous surveillance vidéo. Que je le sache n’aurait toutefois pas changé grand-chose, car ce n’était pas l’histoire de Clara que je voulais raconter, c’était celle d’une fille qui s’est retranchée dans les bois.

L’écriture du roman Tempête Yonna fut très différent, car il n’y a pas un unique personnage dans ce livre, mais quinze. Si je n’en juge aucun (au début en tout cas), c’est encore une fois parce que j’écris afin que mes livres témoignent de l’époque à laquelle je vis. Si j’en juge un seul au moment de son apparition dans le récit, alors mon roman se met à boitiller avec un porte-voix et des slogans : notez que lui est un méchant et lui un gentil !

Mais par la suite j’en élimine certains, progressivement. Un à un, de façon plus ou moins douce et totalement subjective. C’est le souffle du roman et une question de point de vue, bien entendu. J’en élimine jusqu’à parvenir à quelque chose qui ressemble à une utopie.

Des lectrices et lecteurs sont friands de fins ouvertes. D’autres ne les aiment pas trop. Mes romans sont des métaphores dramatiques du monde qui file à une vitesse inouïe. J’ignore comment il va tourner, alors je laisse les fins ouvertes, comme des questions – que je me pose en premier lieu à moi-même, et ensuite au lecteur.

Découvrir le roman : Tempête Yonna

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